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la muraille obscure, non pas des tableaux plaqués comme aujourd’hui, des curiosités archéologiques, des œuvres d’un pays et d’un art différents, mais des figures qui répétaient et embellissaient les attitudes ordinaires, le coucher, le lever, la sieste, le travail, des déesses debout devant Pâris, une Fortune élégante et svelte comme les femmes de Primatice, un Déidamie qui, effrayée, se laisse tomber sur un siége. Les mœurs, les œuvres, les habits, les monuments, tout partait du même jet, d’un jet unique ; la plante humaine n’avait eu qu’une pousse et n’avait point subi de greffe. Aujourd’hui la civilisation dans la même contrée, ici, à Naples, est pleine de disparates, parce qu’elle est plus vieille, et que des races diverses y ont contribué. Beaucoup de traits espagnols, catholiques, féodaux, septentrionaux, sont venus brouiller ou déformer l’esquisse italienne et païenne primitive. Par suite, le naturel, l’aisance se sont perdus ; tout grimace. De toutes les choses qu’on voit à Naples, combien y en a-t-il vraiment d’indigènes ? C’est le Nord qui a importé le besoin de bien-être, les habits collants, les hautes maisons, l’industrie savante. Si l’homme suivait sa nature, il vivrait ici comme les anciens, à demi nu ou drapé dans un linge. L’ancienne civilisation naissait tout entière du climat et d’une race appropriée au climat ; c’est pourquoi elle avait l’harmonie et la beauté.

Le théâtre est sur le sommet d’une colline ; les gradins sont en marbre de Paros ; en face est la mer avec le Vésuve rayonnant de blancheur matinale. Pour toit, il y avait un voile, et encore ce voile manquait souvent. Comparez cela à nos théâtres nocturnes, éclairés au gaz, remplis d’air méphitique, où l’on s’entasse dans des boî-