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Toutes ces rues sont étroites ; la plupart sont des ruelles qu’on franchirait d’une enjambée. Le plus souvent elles n’offrent de place que pour un char, et l’ornière est encore visible ; de temps en temps de larges pierres permettent au passant de les traverser comme sur un pont. Tous ces détails indiquent d’autres mœurs que les nôtres ; évidemment on ne trouvait point ici la grande circulation de nos villes, nos lourdes charrettes chargées, nos voitures de maître qui courent au grand trot. Les chars apportaient le blé, l’huile, les provisions ; beaucoup de transports se faisaient à bras et par des esclaves ; les riches allaient en litière. Le bien-être était moindre et différent. Un trait saillant de la civilisation antique, c’est le manque d’industrie. On n’avait point les provisions, les ustensiles, les tissus, tout ce que les machines et le travail libre fabriquent aujourd’hui en quantités énormes, pour tout le monde et à bon marché. C’est l’esclave qui tournait la meule ; l’homme s’était appliqué au beau, non à l’utile ; ne produisant guère, il ne pouvait guère consommer. La vie était forcément simple, et les philosophes comme les législateurs le savaient bien ; s’ils prescrivaient l’abstinence, ce n’était pas par pédanterie ; le luxe était visiblement incompatible avec la société telle qu’elle était. Quelques milliers d’hommes braves et fiers, qui vivent sobrement, qui ont une demi-chemise et un manteau, qui se complaisent à voir sur leur colline un groupe de beaux temples et de statues, qui causent d’affaires publiques, passent leur journée aux gymnases, au forum, aux bains, au théâtre, se lavent, se frottent d’huile, sont contents de la vie présente : voilà la cité antique. Si leurs besoins et leurs raffinements croissent à l’excès,