Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le font rôtir sur des charbons, boivent le vin de leurs outres, et, allumant un feu, s’endorment le soir sur le sable. Combien l’homme s’est depuis compliqué et gâté ! Comme on pense volontiers au luxe tel qu’Homère l’imagine pour une déesse ! « Il y avait une grande caverne, et là habitait la nymphe aux beaux cheveux. Un grand feu brûlait dans le foyer, et l’odeur du cèdre bien fendu et du citronnier qui brûlaient se répandait au loin dans l’île. Elle, au dedans, chantant avec une belle voix, parcourait la toile et tissait de sa navette d’or. Autour de la caverne était une forêt verdoyante, l’aulne, le peuplier noir, le cyprès odorant, et dedans nichaient les oiseaux aux longues ailes, les mouettes, les éperviers, les corneilles au bec allongé, tous les oiseaux des rivages, qui chassent sur la mer. Autour de la caverne polie s’étendait une jeune vigne, et elle était toute florissante de grappes. Tout auprès coulaient quatre fontaines, avec une eau bouillonnante, voisines l’une de l’autre, et chacune se tournant de son côté. À l’entour fleurissaient des prairies molles d’ache et de violettes. ; un dieu qui serait venu là aurait admiré et se serait réjoui dans son cœur. » Elle-même place la table, sert son hôte comme Nausicaa ; au besoin, elle irait avec ses servantes laver ses vêtements dans le torrent voisin ; on fait alors ces sortes d’actions, naturellement, comme on marche ; on n’a pas plus l’idée de se décharger de ce soin que de se décharger de l’autre. Ainsi s’entretiennent la force et l’agilité des membres ; c’est un plaisir et un instinct que de les remuer et de s’en servir. L’homme est encore un bel animal, presque parent des chevaux de noble race qu’il nourrit dans ses pâturages ; à ce titre, l’emploi de ses bras et de son corps ne lui pa-