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deux mendiants qui nettoient leur poitrine velue ; mais la race est bien supérieure à celle de Naples, où elle est rapetissée et déformée, où les jeunes filles semblent des grisettes rabougries et blafardes. Les hommes travaillent aux champs. À force de regarder des jambes et des pieds nus, on s’intéresse aux formes ; on est content de voir le muscle du mollet se tendre pour pousser une charrette, s’enfler, embrasser la jambe ; l’œil suit sa courbe et descend jusqu’au pied ; on a plaisir à voir les doigts réguliers bien appuyés sur la terre, la bonne assiette de chaque os, la rondeur de l’orteil, l’aptitude et la force active de tout le membre. C’est de pareils spectacles quotidiens qu’est née autrefois la sculpture. Sitôt que vient le soulier, on ne peut plus parler, comme au temps d’Homère, « des femmes aux beaux talons, » le pied n’a plus de forme, il n’intéresse plus qu’un bottier, il ne fournit plus de modèles qui, se corrigeant par degrés l’un l’autre, laissent entrevoir la forme idéale. Autrefois le Romain, riche ou pauvre, le Grec montrait journellement sa jambe, et aux bains, aux gymnases, tout son corps. L’habitude de s’exercer nu a été le trait distinctif du Grec ; on voit par Hérodote combien cette coutume choquait les Asiatiques et les barbares.

Le chemin de fer longe la mer à trois pas, presque de niveau. Un port paraît, rayé par les formes noires des agrès, puis un môle, un petit fort demi-ruiné qui fait ombre, et dont les arêtes vives tranchent sur cet épanchement de lumière. Tout à l’entour, des maisons carrées, toutes grises et comme brûlées, s’entassent, ainsi que des tortues, sous un toit rond qui leur fait une épaisse carapace. C’est Torre-del-Greco, qui se défend