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souffrant ou anéanti ; on lui apporte des mets, du vin, du lait ; il vit encore, seulement du grand jour il est passé au crépuscule. Les idées chrétiennes et germaniques, Pascal et Shakespeare, n’ont point à parler ici.

Rien à dire de Baïa. C’est un pauvre village, où quelques barques s’amarrent autour d’une vieille forteresse. La pluie est venue et en fait un cloaque. Pouzzoles est pire encore. Les porcs fangeux vaguent dans les rues. Quelques-uns, attachés par le ventre avec une ceinture, grognent et se démènent. Les enfants déguenillés semblent leurs frères. Une douzaine de demi-mendiants, une sale canaille parasite s’accroche à la voiture ; on les renvoie, on les rebute, rien n’y fait, ils veulent absolument servir de guides. Il paraît qu’il y a trois ans c’était pis. Au lieu de douze à nos trousses, nous en aurions eu cinquante ; les cochons erraient dans les rues de Naples comme ici. Ce peuple est encore tout sauvage ; quand il vit arriver le roi Victor-Emmanuel, il fut très-étonné, et s’imaginait que Victor-Emmanuel avait détrôné Garibaldi. Plusieurs de ceux-ci n’ont qu’un soulier ; d’autres sont pieds nus, jambes nues dans la boue ; leurs haillons ne peuvent pas être décrits, il n’y en a de pareils qu’à Londres. On aperçoit par les portes ouvertes des femmes qui ôtent la vermine de leurs enfants, des grabats, des corps demi-couchés. Sur les places, à l’entrée de la ville, un ramassis de vagabonds petits et grands attendent une proie, un étranger, et se précipitent. Trois d’entre eux se sont montrés plus acharnés que les autres, et mon compagnon s’est mis à les plaisanter. Ils entendent la plaisanterie, et répondent avec un mélange d’humilité et d’effronterie. Même ils se raillent entre eux ; un surtout, montrant son cama-