Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

son linceul ; le gardien allume une bougie, et dans cette teinte blafarde, dans l’air humide et froid, les yeux, les sens, tout l’être nerveux se trouble comme au contact d’un cadavre. Ce sont là les tours de force de la superstition et de la sculpture ; il y a de quoi faire briller l’artiste, amuser l’épicurien et faire frémir le dévot. Je ne parle pas du luxe des peintures, des ornements prodigués, de la décoration prétentieuse ; cela est encore bien plus visible à Santa-Chiara dans les énormes feuillages d’argent qui encombrent l’autel, dans la quantité de balustrades en cuivre doré, dans les pompons, les petites boules d’or, les cierges enguirlandés, les autels surchargés de colifichets, comme ceux que les petites filles arrangent et enjolivent à la Fête-Dieu. Il en est de même dans une quantité d’églises dont j’oublie les noms. Ce catholicisme païen est choquant on y découvre toujours un fonds de sensualité sous une apparence d’ascétisme. Les têtes de mort, les sabliers, les invocations mystiques font disparate sur les dorures, les colonnes de marbre précieux et les chapiteaux grecs. Ils n’ont du christianisme que la superstition et la peur. Ici particulièrement la grandeur manque et l’afféterie règne. Ils font d’une église un magasin de jolies choses. En cherchant bien le sentiment des gens pour qui on a bâti cela, je ne trouve que le désir d’aller prendre le frais dans une boutique d’orfèvrerie, ou tout au plus la pensée qu’en donnant beaucoup d’argent à un saint il vous préservera de la fièvre ; c’est un casino à l’usage des cervelles imaginatives. Pour les architectes et les peintres, ce sont des déclamateurs qui par leurs trompe-l’œil, leurs voûtes énormes à courbes étranges, essayent de réveiller l’attention blasée. Tout cela indique une