Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/420

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la fièvre. Ils arrivent ici poussés par une crainte vague pareille à celle des anciens Latins, pour ne point déplaire à une puissance inconnue, dangereuse, qui peut à volonté leur envoyer la maladie ou la grêle, et ils baisent l’orteil de la statue avec le sérieux d’un Asiatique qui apporte le tribut au pacha.

Le bourdonnement de la messe roule demi-perdu dans le lointain, et les grandes formes enveloppées dans l’encens accompagnent de leur noblesse et de leur gravité sa mystérieuse harmonie. Quel puissant seigneur et quelle splendide idole pour ces paysans que le maître de cette église ! Pensez, pour comprendre leur impression devant ces magnificences, ces dorures et ces marbres, à leur cahute enfumée, à leur campagne désolée, aux âpres montagnes brûlées, aux lacs noirâtres, à la lourde chaleur de l’été fiévreux, aux songes sourds, inquiétants, qui s’enchevêtrent dans le cerveau des pâtres pendant les heures solitaires, ou lorsque la nuit avec son cortège de formes lugubres s’appesantit sur la plaine ! Un ciel rougi comme celui d’hier, au bout de cette plaine livide et dans les morues fumées du soir, fait frissonner. L’implacable soleil du midi, dans une fondrière de roches ou devant la pourriture d’un marécage, donne le vertige. On sait par les anciens Romains quelle prise la superstition trouvait dans l’homme parmi ces eaux stagnantes, ces solfatares éparses, ces montagnes cassées, ces lacs métalliques, et les paysans que voici n’ont pas l’esprit plus assaini, plus cultivé, plus rassis que les soldats de Papirius.

Tout le monde sort et attend le pape, qui doit paraître sur le grand balcon de Saint-Pierre et donner la bénédiction. La pluie redouble, et à perte de vue sur la