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pas mangé depuis huit jours. Je ne sais pas ce qu’ils ont aux pieds ; ce ne sont pas des sandales, encore moins des souliers : cela semble un paquet de linges, de vieux chiffons ramassés dans les ruisseaux et qui clapotent avec eux dans la boue. Le chapeau à larges bords plié et défoncé, la culotte, le manteau sont indescriptibles ; rien n’y ressemble, sauf les torchons de cuisine, les vieux linges infects qu’on entasse dans les entrepôts de chiffons pour faire du papier.

J’ai regardé beaucoup de figures, et celles que j’ai vues depuis que j’ai mis le pied en Italie me sont revenues en mémoire. Tout cela se groupe autour de trois ou quatre types saillants. — Il y a d’abord la jolie et fine tête de camée, parfaitement régulière, spirituelle, à l’air vif et alerte, capable de tout comprendre à l’instant, faite pour inspirer l’amour et pour bien parler d’amour. — Il y a aussi la tête carrée plantée sur un coffre solide, avec de fortes lèvres sensuelles et une expression de grosse joie, de verve bouffonne ou satirique. — Il y a l’animal maigre, noir, brûlé, dont le visage n’a plus de chair, tout en traits saillants, d’une expression incroyable, avec des yeux de flamme, des cheveux crépus, semblable à un volcan qui va faire explosion, — Il y a enfin l’homme beau et vigoureux, fortement bâti et musclé, sans lourdeur, au teint chaudement coloré, qui vous regarde fixement en face, tout à fait complet et fort, qui semble attendre l’action et l’expansion, mais qui en attendant ne se prodigue pas, demeure immobile.

Tout ce chemin et ce paysage jusqu’à Naples doivent être bien beaux, mais par un ciel clair et en été : quantité de montagnes nobles et variées, point énormes et ce-