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il est gros, vêtu de violet, et sa gravité est admirable ; pas un muscle de sa figure ne bouge ; on le prendrait pour un bouddha majestueux et hiératique. De temps en temps passe un cortège de cagoules noires, et l’on s’arrête à contempler parmi ces capuches d’inquisition tel cardinal, longue figure jaune, aux yeux noirs, ardents, sorte de Ximenès qui n’a pas d’emploi. Tout alentour la foule se presse, ondule ; mais l’église est si vaste que toutes les conversations, tous les pas s’amortissent et se fondent en un vaste murmure.

C’est sans doute aujourd’hui l’une de mes dernières visites ; tâchons de revoir l’ensemble de l’édifice. Par degrés, les yeux se sont habitués ; on prend l’œuvre pour ce qu’elle est, telle que la conçurent ses fondateurs ; on la considère non pas en chrétien, mais en artiste. Ce n’est plus une église, c’est un monument, et certes à ce point de vue elle est un chef-d’œuvre de l’homme.

Cet escalier de la Sixtine, avec les arceaux enguirlandés de sa voûte et le long développement de sa descente, est d’une noblesse et d’une proportion incomparables. Saint-Pierre est pareil, orné mais sans excès, grand sans être énorme, majestueux sans être accablant. On jouit des rondeurs simples des voûtes et de la coupole, de leur ampleur et de leur solidité, de leur richesse et de leur force. Ces caissons dorés qui brodent la voûte, ces anges de marbre assis sur les courbures, ce superbe baldaquin de bronze appuyé sur ses colonnes torses, ces pompeux mausolées des papes, forment un ensemble unique ; on n’a jamais offert une plus belle fête païenne à un Dieu chrétien.

Quel est le Dieu dans ce temple ? — Au fond de l’abside, au-dessus de l’autel lui-même, à l’endroit où l’on