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ment ; à chaque instant une voix se détache par un thème propre, et le faisceau s’éparpille si bien que l’harmonie totale semble un effet du hasard, comme le sourd et flottant concert des bruits de la campagne. — Le ton continu est celui d’une oraison extatique et plaintive qui persévère ou reprend sans jamais se lasser, en dehors de tout chant symétrique et de tout rhythme vulgaire : aspiration infatigable du cœur gémissant, qui ne peut et ne veut se reposer qu’en Dieu, élancements toujours renouvelés des âmes captives toujours rabattues par leur poids natal vers la terre, soupirs prolongés d’une infinité de malheureux tendres et aimants qui ne se découragent pas d’adorer et d’implorer.

Le spectacle est aussi admirable pour les yeux que pour les oreilles. Les cierges s’éteignent un à un, le vestibule noircit, les grandes figures des fresques se meuvent obscurément dans l’ombre. On fait vingt pas, et tout d’un coup l’on a devant soi la chapelle Pauline, flamboyante comme un paradis angélique de gloire, de lumières et de parfums. Les étages de cierges montent sur l’autel comme une châsse ; les lustres descendent, ouvrant leurs arabesques dorées, leurs panaches d’étincelles, leurs rosaces de splendeurs, leurs aigrettes diamantées, comme les oiseaux mystiques de Dante. Des écailles de nacre hérissent le sanctuaire de leurs blancheurs chatoyantes ; les colonnes tordent leurs spirales d’azur parmi les corps charmants des anges, sous les vapeurs enroulées de l’encens qui fume ; une senteur enivrante emplit l’air. C’est Bernin qui a disposé cette délicieuse fête, ces éblouissements, cette féerie ; sa sainte Thérèse pâmée de l’église Della Vittoria l’entrevoit en esprit, et c’est ici qu’elle devrait être.