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dans notre plan, c’est pour nous, et non pour le pape : placé au cœur de l’Italie, irrité, il se fera révolutionnaire et travaillera tout le bas peuple contre nous ; mais puisque nous acceptons nos dangers, laissez-nous nos chances, et ne nous imposez pas un régime que vous refusez pour vous ? »

— « Qu’est-ce donc alors que cette transformation de l’Église catholique que vous entrevoyez dans un lointain obscur ? » — Sur ce point les réponses sont vagues. Mes interlocuteurs affirment que le haut clergé italien renferme un assez grand nombre de libéraux, qu’on en trouve même parmi les cardinaux, surtout hors de Rome ; ils citent entre autres dom Luigi Tosti, dont je connais les ouvrages. C’est un religieux bénédictin du Mont-Cassin, fort chrétien et fort libéral, qui a lu les philosophes modernes, connaît l’exégèse nouvelle, est versé dans l’histoire, goûte les spéculations supérieures, esprit généreux, conciliant et large, dont l’éloquence surchargée, poétique, entraînante, est celle d’un George Sand catholique. Ici le clergé n’est pas enrégimenté tout entier, comme en France ; c’est seulement chez nous que l’Église subit par contagion la discipline administrative[1] Certains ecclésiastiques ont en Italie des positions à demi indépendantes : dom Tosti est dans son cloître comme un professeur d’Oxford dans son canonicat ; il peut voyager, lire, penser, imprimer à son aise. Son but est de mettre l’Église d’accord avec la science. Son principe est que la science, étant simplement décomposante, n’est pas la seule voie, qu’il y

  1. « Mon clergé est comme un régiment : il doit marcher, et il marche. » Discours du cardinal de Bonnechose au Sénat, session de 1865.