Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tures françaises, on y recevait des tableaux administratifs avec des indications en blanc très-minutieuses, fort compliquées, pour le service des douanes et de l’enregistrement ; il fallait six semaines aux Hambourgeois pour les comprendre et les bien remplir, trois jours aux Romains. Les sculpteurs prétendent que, déshabillés, ils ont la chair saine et ferme, à l’antique, tandis qu’au delà des monts les muscles sont flasques et laids. En vérité, on finit par croire que ces gens-là sont les anciens Romains de Papirius Cursor ou les citoyens des redoutables républiques du moyen âge, les mieux doués des hommes, les plus capables d’inventer et d’agir, maintenant tombés sous le froc, la livrée ou la guenille, employant de grandes facultés à psalmodier des litanies, à intriguer, mendier et se gâter.

Au milieu du marais, on voit encore jaillir l’eau vive : quand ils s’épanchent, leur expansion est admirable ; parmi les mœurs galantes ou grossières, la nature vierge qui a fourni des expressions divines aux grands peintres éclate en enthousiasmes et en ravissements. Un de nos amis, médecin allemand, a pour servante une belle fille amoureuse d’un certain Francesco, ouvrier au chemin de fer à quatre pauls par jour. Il n’a rien, elle non plus ; ils ne peuvent s’épouser, il leur faudrait cent écus pour entrer en ménage. C’est un mauvais drôle, il n’est pas beau, et n’a pour elle qu’un goût médiocre ; mais elle l’a connu dès l’enfance, elle l’aime depuis huit ans : quand elle reste trois jours sans le voir, elle ne mange plus ; le docteur est obligé de lui retenir ses gages, elle donnerait tout son argent. Du reste elle est aussi sage que probe ; elle est forte de la beauté de son sentiment, elle parle librement de son amour. Je la ques-