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font mal ; elles témoignent de tant de misères ! Quelquefois c’est un massif rongé par le pied, une voûte branlante ; ailleurs c’est un arc isolé, un morceau de mur, trois pierres enterrées qui affleurent : on dirait les restes d’un pont emporté par une inondation, ou ce qui subsiste d’une ville écroulée dans un incendie.



22 mars. Le peuple.


Avant tout, quand on veut juger les paysans romains, il faut poser comme premier trait de leur caractère l’énergie, j’entends l’aptitude aux actions violentes et dangereuses. Voici des anecdotes.

Notre ami N…, homme athlétique, brave et calme, habite la campagne à cinq ou six lieues d’ici. Il nous conte que dans son village les coups de couteau sont fréquents : des trois frères de son domestique, l’un est au bagne, deux sont morts assassinés. Dans ce même village, deux paysans plaisantaient et s’amusaient entre eux. Le premier avait une fleur à sa boutonnière, quelque présent de sa maîtresse. L’autre la prend. « Rends-la-moi, » dit l’amant ; l’autre n’en fait que rire. L’amant devient sérieux. « Rends-la-moi tout de suite ! » Nouveaux rires. L’amant veut la reprendre de force, l’autre se sauve ; il le poursuit, l’atteint, lui plante son couteau dans le dos, non pas une fois, mais vingt, en boucher et en furieux. — La colère, avec le sang, leur monte aux yeux, et ils rentrent à l’instant dans la férocité primitive.

Un officier qui est avec nous cite des traits semblables. Deux soldats français se promenaient le long du