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et bien membrée. Si vous cherchez les sentiments compliqués, exaltés, d’une femme vertueuse qui par patriotisme et piété vient de se faire courtisane et assassin, et qui rentre les mains rouges, sentant peut-être sous sa ceinture l’enfant de l’homme qu’elle vient d’égorger, cherchez ailleurs, lisez le drame d’Hebbel, la Cenci de Shelley, proposez le sujet à un Delacroix ou à un Ary Scheffer.

Je me suis confirmé cette nuit dans cette idée par la lecture de Vasari. Voyez par exemple les vies des deux Zucchero, entre tant d’autres semblables. Ce sont des ouvriers élevés dès l’âge de dix ans dans l’atelier, qui fabriquent le plus possible, cherchent des commandes, et répètent partout les mêmes sujets bibliques ou mythologiques, les travaux d’Hercule ou la création de l’homme. Ils n’ont pas l’esprit encombré de dissertations et de théories, comme nous l’avons depuis Diderot et Gœthe. Quand on leur parle d’Hercule ou du Père éternel, ils imaginent un grand corps avec beaucoup de muscles, nu ou drapé dans un manteau brun ou bleu. Pareillement tous ces princes, abbés, particuliers, qui font décorer leur maison ou leur église, cherchent une occupation pour leurs yeux ; ils lisent bien les contes de Bandello ou les descriptions de Marini, mais en somme la littérature alors ne fait qu’illustrer la peinture. Aujourd’hui c’est l’inverse.

Nous sommes montés sur les hauteurs de l’ancien Tusculum ; on y voit les restes d’une villa qui fut, dit-on, celle de Cicéron, restes informes, amas de briques disjointes, soubassements mal déterrés, qui vont s’effondrant sous les intempéries de l’hiver et l’envahissement des herbes. Parfois, à mesure que l’on avance, les pa-