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des ruines. Nous sommes entrés à droite dans l’ancienne villa du pape Jules III, demi-abandonnée. On pousse une porte vermoulue, et l’on voit une cour élégante où tourne un portique circulaire soutenu par des colonnes carrées à têtes corinthiennes ; la masse a subsisté par la solidité de sa construction ancienne. Aujourd’hui c’est une sorte de hangar approprié à des usages domestiques : des paysans, des laveuses en manches retroussées vaguent çà et là. Au bord des vieilles vasques de pierre, le linge attend le battoir ; un canard sur une patte regarde le riche bouillonnement de l’eau, qui, amenée jadis avec une prodigalité princière, regorge et bourdonne comme aux premiers jours ; les claies de joncs, les tas de roseaux, les fumiers, les bêtes, sont autour des colonnes. Ce sont là les héritiers de Vignole, de Michel-Ange, d’Annibal Caro, de la cour savante, guerrière, lettrée, qui venait le soir entretenir le généreux pape. — À gauche, un grand escalier sans marches, sorte de rampe qu’on pouvait monter à cheval, développe sa profondeur et les belles courbes de ses voûtes. Arrivés au sommet, nous forçons une sorte de loquet, et nous trouvons une loggia ; c’est là qu’après souper le pape venait converser, prendre le frais, en face de la campagne largement étalée sous ses regards. Des colonnes la portent ; on distingue au plafond des restes des caissons ouvragés où se mêlaient et se déployaient les corps vivants des figurines ; un vaste balcon prolonge le promenoir et apporte plus amplement l’air du dehors à la poitrine. Rien de plus grandement entendu, de mieux approprié au climat, de plus propre à contenter des sens d’artiste ; c’est ici qu’il fallait venir pour discuter des projets d’édifices ou retoucher des agence-