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res, et sur toute la rue allonge sa traînée noirâtre. Si l’on approche, on voit une entrée borgne, des toiles d’araignées qui pendent aux barreaux descellés, un escalier qui tourne comme un boyau, et à l’intérieur toutes les vilenies du ménage, du linge en un tas, une casserole à terre, des enfants en chemise. Ce ne sont point de malhonnêtes femmes ; mais leur bonheur consiste à bien s’habiller, à passer leur après-midi sur leur balcon, comme un paon sur son perchoir.

Au bout d’une longue rue, Saint-Pierre se découvre. Nulle beauté plus solide et plus saine que celle de cette grande place ; notre Louvre, la place de la Concorde ne sont en comparaison que des décorations d’opéra. Elle va montant, et se découvre ainsi d’un coup d’œil tout entière. Deux superbes colonnades l’enserrent de leur courbe. Au centre, un obélisque, et sur les flancs deux fontaines agitant leurs panaches d’écume peuplent son énormité. Quelques points noirs, des hommes assis, des visiteurs qui montent, une file de moines, rayent la blancheur de ses gradins, et au sommet de tous ces escaliers, sur un entassement de colonnes, de frontons, de statues, s’élève le gigantesque dôme.

On a pourtant fait tout ce qu’il fallait pour le cacher. Au second regard, il est clair que la façade l’écrase ; c’est celle d’un hôtel de ville emphatique ; on l’a construite dans un temps de décadence. On a compliqué les formes, multiplié les colonnes, prodigué les statues, entassé les pierres, en sorte que la beauté a disparu sous l’encombrement. On entre, et à l’intérieur la même impression reparaît. Un mot reste sur les lèvres : grandiose et théâtral. Cela est puissant, mais cela est emphatique. Il y a trop de dorures et de sculptures, trop