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beaucoup d’autres degrés de la contemplation, comme l’extase, les transports, la liquéfaction, la pâmoison, le triomphe, le baiser, les embrassements, l’exaltation, l’union, la transformation, les fiançailles, le mariage[1]. » Il professait tout cela et arrivait à la pratique. Dans ce monde affaissé et gâté, où l’esprit, vide de grands intérêts, n’était rempli que d’intrigues et de parades, la partie passionnée et imaginative de l’âme ne trouvait d’autre débouché que la conversation sentimentale et galante. De l’amour terrestre, quand venait le remords, on passait à l’amour céleste, et au bout d’un temps, sous une pareille doctrine, on éprouvait que de l’amant au directeur rien n’était changé.

J’ai lu dernièrement l’Adone de Marini, et c’est dans ce poëme, le plus populaire du siècle, qu’on peut voir plus clairement qu’ailleurs la grande transformation des sentiments, des mœurs et des arts. Elle apparaît déjà dans l’Armide et dans l’Aminte du Tasse. Quel contraste, si l’on regarde la tragique Léda de Michel-Ange ! Comme tout s’est tourné vers la grâce et vers la mollesse ! comme on est descendu vite jusqu’à la fadeur et à la mignardise ! comme on voit arriver les mœurs des sigisbés ! Ce poëme de vingt chants semble fait pour être soupiré par un bel adolescent aux pieds d’une dame oisive, sous les colonnades d’une villa de marbre, aux tièdes soirées d’été, parmi les bruissements des jets d’eau qui murmurent, sous les parfums des fleurs alanguies par la chaleur du jour. Ils parlent d’amour, et pendant dix mille vers ils ne parlent pas d’autre chose. Le magnifique étalage des fêtes galantes et des jardins allégoriques,

  1. Guida Spirituale, 1675, liv. II, p. 183.