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ger Rome de toutes les traces de l’ancien paganisme.

Nous sommes revenus par Santa-Maria della Vittoria pour voir la sainte Thérèse du Bernin. Elle est adorable : couchée, évanouie d’amour, les mains, les pieds nus pendants, les yeux demi-clos, elle s’est laissée tomber de bonheur et d’extase. Son visage est maigri, mais combien noble ! C’est la vraie grande dame qui a séché « dans les feux, dans les larmes, » en attendant celui qu’elle aime. Jusqu’aux draperies tortillées, jusqu’à l’alanguissement des mains défaillantes, jusqu’au soupir qui meurt sur ses lèvres entr’ouvertes, il n’y a rien en elle ni autour d’elle qui n’exprime l’angoisse voluptueuse et le divin élancement de son transport. On ne peut pas rendre avec des mots une attitude si enivrée et si touchante. Renversée sur le dos, elle pâme, tout son être se dissout ; le moment poignant arrive, elle gémit ; c’est son dernier gémissement, la sensation est trop forte. L’ange cependant, un jeune page de quatorze ans, en légère tunique, la poitrine découverte jusqu’au-dessous du sein, arrive gracieux, aimable ; c’est le plus joli page de grand seigneur qui vient faire le bonheur d’une vassale trop tendre. Un sourire demi-complaisant, demi-malin, creuse des fossettes dans ses fraîches joues luisantes ; sa flèche d’or à la main indique le tressaillement délicieux et terrible dont il va secouer tous les nerfs de ce corps charmant, ardent, qui s’étale devant sa main. On n’a jamais fait de roman si séduisant et si tendre. Ce Bernin, qui me semblait si ridicule à Saint-Pierre, a trouvé ici la sculpture moderne, toute fondée sur l’expression, et pour achever, il a disposé le jour de manière à verser sur ce délicat visage pâle une illumination qui semble celle de la flamme intérieure,