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le mur et toute la voûte, on voit courir les radius en dessins contournés, en jolies et capricieuses arabesques ; çà et là, dans un coin, un buisson de cages thoraciques hérisse ses étages blanchâtres de clavicules et de côtes. Le sol est une rangée de fosses, les unes pleines, les autres qui attendent. Les morts récents sont dans leur froc ; le moine nous en montre un, son ami, mort en 1858 : il était fort grand, mais le cimetière l’a atténué, réduit à l’extrême, et sa peau jaune colle sur ses bras raidis, sur son visage, dont la chair semble avoir fondu. Le moine ajoute que deux frères sont fort malades, que l’un d’eux probablement mourra cette nuit, et il nous montre la fosse déjà faite. Ce pauvre homme, avec sa barbe grise et ses vieux yeux noyés, a l’air tout guilleret en donnant cette explication ; il rit ; impossible de rendre l’effet de cette gaieté en pareil lien et en pareil sujet. Songez que chaque moine vient prier tous les jours dans cette chapelle, et sentez par quelles prises corporelles la machine ainsi maniée doit enserrer et ployer l’homme !

Nous avions besoin de changer d’air, et nous sommes allés tout près de là, à Santa-Maria degli Angeli. C’était la bibliothèque des Thermes de Dioclétien ; les Romains y venaient, après le bain, pour causer, passer les heures chaudes de la journée. Michel-Ange en a fait une église, et sous Benoît XIV Vanvitelli a remanié tout l’édifice. Pour une salle de lecture ou de promenade, on ne peut imaginer rien de mieux entendu, de mieux aéré et de plus grave ; on était bien là pour penser, et les magnifiques et gigantesques colonnes qui subsistent encore sont dignes de porter la noble courbe, l’ample rondeur de l’énorme voûte. Toujours la même impres-