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gens qui, à ce régime, au bout de quinze jours auraient des hallucinations ; il n’en faudrait pas dix à une tête chaude, à une femme, à un enfant, à une cervelle ébranlée et triste. Ainsi martelée et enfoncée, l’empreinte est indestructible. Vous pouvez laisser passer le torrent des passions et de la vie mondaine ; dans vingt ans, trente ans, aux approches de la mort, au temps des grandes angoisses, on verra reparaître la marque profonde sur laquelle il aura vainement coulé.



18 mars. Santa-Maria del Popolo, Santa-Maria
della Vittoria, les couvents, le Quirinal.


Nous sommes allés aujourd’hui à cinq ou six églises ; l’architecture est souvent emphatique, affectée, même extravagante, mais jamais plate.

D’abord à Santa-Maria del Popolo, qui est du quinzième siècle, modernisée par le Bernin, mais encore sérieuse. — De larges arcades se déploient en files, séparant la grande nef des petites, et l’effet de toutes ces fortes courbes est grave et grand. Quantité de tombeaux portent l’impression jusqu’à l’émotion tragique ; l’église en est peuplée, vingt cardinaux y ont leur monument. Leurs statues dorment sur la pierre ; d’autres effigies rêvent à demi couchées, ou prient ; souvent il n’y a qu’un buste, parfois une seule tête de mort au-dessus d’une inscription et d’un mémorial ; plusieurs sépulcres sont dans le pavé, et les pieds des fidèles ont usé le relief des figures. Partout la mort présente et palpable ; sous la dalle funéraire, on sent qu’il y a des ossements, les misérables débris d’un homme, et ces froides formes de marbre immobile qui reposent éter-