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consoles, cette église ressemble à une magnifique salle de banquet, à quelque hôtel de ville royal qui se pare de toute son argenterie, de tous ses cristaux, de son linge damassé, de ses rideaux garnis de dentelle, pour recevoir un monarque et faire honneur à la cité. La cathédrale du moyen âge suggérait des rêveries grandioses et tristes, le sentiment de la misère humaine, la divination vague d’un royaume idéal où le cœur passionné trouvera la consolation et le ravissement. Le temple de la restauration catholique inspire des sentiments de soumission, d’admiration, ou du moins de déférence, pour cette personne si puissante, si anciennement établie, surtout si accréditée et si bien meublée qu’on appelle l’Église.

De toute cette décoration imposante et éblouissante, une idée jaillit pareille à une proclamation. « L’ancienne Rome avait réuni l’univers dans un empire unique ; je la renouvelle et je lui succède. Ce qu’elle avait fait pour les corps, je le ferai pour les esprits. Par mes missions, mes séminaires, ma hiérarchie, j’établirai universellement, éternellement et magnifiquement l’Église. Cette Église n’est pas, comme le veulent vos protestants, l’assemblée des âmes alarmées et indépendantes, chacune active et raisonneuse devant sa Bible et sa conscience, ni, comme le voulaient les premiers chrétiens, l’assemblée des âmes tendres et tristes mystiquement unies par la communauté de l’extase et l’attente du royaume de Dieu : elle est un corps de puissances ordonnées, une institution sainte, subsistante par elle-même et souveraine des esprits. Elle ne réside pas en eux, elle ne dépend pas d’eux, elle a sa source en soi. Elle est une sorte de Dieu intermédiaire substitué à l’autre et muni de tous ses droits. »