Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15 mars, le Gesù.


Ce sont ces souvenirs et d’autres pareils qui me gâtent ou plutôt qui m’expliquent les églises de Rome. Elles sont presque toutes du dix-septième siècle ou de la fin du seizième, en tout cas modernisées, et portent la marque de la restauration catholique qui suivit le concile de Trente. À partir de cette époque, le sentiment religieux se transforme ; l’ascendant est aux jésuites. Ils ont un goût, comme ils ont une théologie et une politique ; toujours une conception nouvelle des choses divines et humaines produit une façon nouvelle d’entendre la beauté : l’homme parle dans ses décorations, dans ses chapiteaux, dans ses coupoles, parfois plus clairement et toujours plus sincèrement que dans ses actions et ses écrits.

Pour voir ce goût dans tout son éclat, il faut aller près de la place de Venise, au Gesù, monument central de la société, bâti par Vignole et Jacques della Porta dans le dernier quart du seizième siècle. La grande renaissance païenne s’y continue, mais s’y altère. Les voûtes à plein cintre, la coupole, les pilastres, les frontons, toutes les grandes parties de l’architecture sont, comme la renaissance elle-même, renouvelées de l’antique ; mais le reste est une décoration, et tourne au luxe et au colifichet. Avec la solidité de son assiette et les rondeurs de ses formes, avec la pompeuse majesté de ses pilastres chargés de chapiteaux d’or, avec ses dômes peints où tournoient de grandes figures drapées et demi-nues, avec ses peintures encadrées dans des bordures d’or ouvragé, avec ses anges en relief qui s’élancent du rebord des