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tion d’orgue couvrait tous les bruits de sa majestueuse harmonie.

On avance, et les idées chrétiennes envahissent l’esprit par un jet nouveau à mesure qu’un nouvel aspect s’ouvre. Arrivé à l’abside, lorsque dans la crypte déserte et froide on a vu le grand archevêque de pierre, un livre à la main, couché pour l’éternité, comme un pharaon, sur son sépulcre, et qu’au sortir de la voûte mortuaire on se retourne, la rosace occidentale éclate au-dessus de l’énorme obscurité des premiers arceaux, dans sa bordure noire et bleue, avec ses broderies d’incarnat violacé, avec ses innombrables pétales d’améthyste et d’émeraude, avec la douloureuse et ardente splendeur de ses pierreries mystiques, avec les scintillements entre-croisés de sa sanglante magnificence. C’est là le ciel entrevu le soir en rêve par une âme qui aime et qui souffre. Au-dessous, comme une muette forêt septentrionale, les piliers allongent leurs files colossales. La profondeur des ombres et la violente opposition des jours rayonnants sont une image de la vie chrétienne plongée dans ce triste monde avec des échappées sur l’autre. Cependant des deux côtés, à perte de vue, sur les vitraux, les processions violettes et rougeâtres, toute l’histoire sacrée scintille en révélations appropriées à la pauvre nature humaine.

Comme ces barbares du moyen âge ont senti le contraste des jours et des ombres ! que de Rembrandts il y a eu parmi les maçons qui ont préparé ces ondoiements mystérieux des ténèbres et des lueurs ! Comme il est vrai de dire que l’art n’est qu’expression, qu’il s’agit avant tout d’avoir une âme, qu’un temple n’est pas un amas de pierres ou une combinaison de formes, mais