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Au premier étage, du haut du grand balcon de marbre, la montagne qui fait face semble un édifice, une vraie pièce d’architecture. Au-dessous, on voit les dames et les visiteurs se promener dans les compartiments des allées ; donnez-leur des jupes de soie brochée, des habits de velours, des jabots chiffonnés, des tournures plus aisées et plus nobles : voilà la cour qui défilait et vivait oisive sous les yeux et aux frais d’un grand. Il en avait besoin pour prouver à autrui son importance et pour se défendre contre l’ennui ; ce n’est qu’aujourd’hui qu’un homme sait vivre seul ou en famille. Pareillement ce grand salon lambrissé et paré de marbres, orné de colonnes, de bas-reliefs, de grands vases, doré, peint à fresque, est le plus bel endroit pour une réception. Sans beaucoup d’efforts, on peut recomposer devant son imagination la scène entière avec les personnages. Çà et là, en attendant le maître, à propos de tableaux, les amateurs, les abbés regardent et causent. On lève les yeux vers le Parnasse de Mengs, on le compare à celui de Raphaël, on fait ainsi preuve d’éducation et de bon goût, on a évité les conversations dangereuses et on peut s’en aller sans s’être compromis. À côté de là, dans les petits salons, on contemple le superbe bas-relief d’Antinoüs, cette poitrine si forte, ces lèvres viriles, cette apparence de vaillant lutteur ; plus loin un admirable cardinal pâle du Dominiquin, et les deux petites bacchanales si vivantes de Jules Romain. On les comprend encore, la tradition s’est conservée ; un nouvel esprit, une culture oratoire et philosophique n’a pas effacé comme en France toutes les mœurs et toutes les idées du seizième siècle ; on s’y assassine toujours ; le soir, les rues ne sont point sûres. Tandis