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sait couper la main ou crever un œil à deux cent quatre-vingts prisonniers avant de les vendre, et le jeudi saint allait laver les pieds aux pauvres. Telle et la piété du pape Alexandre VI, qui, ayant appris l’assassinat de son fils, le duc de Gandie, se frappe la poitrine, et confesse ses crimes en sanglotant devant les cardinaux assemblés. L’imagination, en ce temps-là, se frappe dans un sens ou dans un autre, tantôt du côté de la volupté, tantôt du côté de la colère, tantôt du côté de la peur. De loin en loin, à la pensée de l’enfer il leur vient un frisson, et ils croient s’acquitter avec des cierges, des signes de croix et des patenôtres ; mais de fondation ce sont des païens, de vrais barbares, et la seule voix qui parle en eux, c’est celle de la chair émue, des nerfs qui frémissent, des membres qui se tendent, et de la cervelle trop pleine où bruit l’essaim des formes et des couleurs.

On ne s’attend pas, j’imagine, à les trouver bien délicats dans leurs façons. Le cardinal Hippolyte d’Este, qui fit crever les yeux à son frère, reçoit à coups de bâton un envoyé du pape chargé de lui apporter un bref déplaisant. On sait comment le pape Jules II, dans une querelle avec Michel-Ange, tomba à coups de canne sur un évêque qui essayait de s’interposer. Une fois Cellini est reçu en audience par le pape Paul II. « Il était, dit Cellini, de la meilleure humeur du monde, d’autant plus que cela se passait le jour où il avait coutume de faire une solide débauche, après laquelle il vomissait. » Impossible de raconter avec le maître de cérémonies Burchard les fêtes données au Vatican devant Alexandre VI, César Borgia et la duchesse Lucrèce, ni même tel petit amusement improvisé que ces