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du navire en tremblent ; jusqu’au matin, on sent ce percement puissant et monotone, comme d’un plésiosaure devenu esclave, et employé à remplacer le travail des hommes.



En mer.


Ce matin, le temps est doux, brumeux et calme. Les crêtes des petits flots parsèment de leurs blancheurs le brouillard ardoisé ; des nuées moites pendent et s’égouttent aux quatre coins de l’horizon. Mais comme ces vagues de velours terni seraient belles si le soleil s’étalait sur leur dos ! J’ai vu le ciel et cette mer en plein été, dans leur splendeur. Il n’y avait point de mots pour exprimer la beauté de l’azur infini, qui de tous côtés s’allongeait à perte de vue. Quel contraste avec le dangereux et lugubre Océan ! Cette mer ressemblait à une belle fille heureuse dans sa robe de soie lustrée, toute neuve. Du bleu et encore du bleu rayonnant jusqu’au bout, jusqu’au fond, jusqu’au bord du ciel, et çà et là des franges d’argent sur cette soie mouvante. On redevenait païen, on sentait le perçant regard, la force virile, la sérénité du magnifique soleil, du grand dieu de l’air. Comme il triomphait là-haut ! Comme il lançait à pleines poignées toutes ses flèches sur la nappe immense ! Comme les flots étincelaient et tressaillaient sous la pluie de flammes ! On pensait aux Néréides, aux conques sonnantes des Tritons, à des cheveux blonds dénoués, à des corps blancs lavés d’écume. L’ancienne religion de la joie et de la beauté renaissait au fond du cœur au contact du paysage et du climat qui l’ont nourrie…