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Une fresque un peu délabrée de Raphaël met cette faiblesse dans tout son jour. Ce n’est qu’un enfant nu, mais vivant, fort, simple comme un antique de Pompéi ; les yeux sourient ; dans ce corps si jeune et si solide, c’est l’éveil, la première curiosité de l’âme.

Une petite peinture à peine esquissée, de Rubens, est un chef-d’œuvre. Deux femmes nues couronnent une de leurs compagnes, pendant qu’au-dessus d’elles de petits Amours blancs font une guirlande. Elles ne sont point trop grasses, et leur mouvement est si naturel, si élégant ! Ce mot semble étrange à propos de Rubens. Mais personne n’a senti autant que lui l’ondulation de la forme humaine, et n’a écrit si directement sous la dictée de son impression. La vie semble figée chez les autres quand on les compare à lui. Seul il en a connu la mollesse fluide, l’instantané. En effet, telle est la nature de la vie : c’est le jet coulant d’une fontaine intarissable qui ne reste jamais la même ; dans la chair animée, le sang afflue et s’en va avec la vélocité d’un fleuve ; cette palpitation de la substance qui incessamment vient et s’en va, est visible dans la fraîcheur de ses tons et la fluidité de ses formes. Mais j’en dirais trop sur Rubens ; aucune peinture n’est un trésor si varié, si inépuisable pour un observateur de l’homme.

Sur ce terrain les Vénitiens seuls approchent de lui. Ils réduisent son abondance, mais ils l’ennoblissent. Il y a ici des Palma Vecchio, des Titien, dont la voluptueuse richesse, les superbes charnures révèlent par delà l’art romain tout un monde. Palma en occupe l’entrée ; sa forte couleur splendide comme un rouge coucher de soleil, son puissant modelé, les magnifiques torsions de ses corps solides annoncent un goût primitif,