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cardinal du seizième siècle est couché sur sa tombe, la tête appuyée sur la main, maigre, avec toute la grandeur tragique de la mort : tombeaux et dorures, les deux extrêmes qui peuvent le mieux ébranler l’imagination, ce sont ici les traits dominants du culte. Le contraste est frappant lorsqu’à la dernière chapelle de gauche, au-dessus d’un arc, on aperçoit les quatre Sibylles de Raphaël. Elles sont debout, penchées ou assises, pour s’accommoder à la courbure de la voûte, et de petits anges, leur présentant le parchemin pour écrire, achèvent de former le groupe. Silencieuses, pacifiques, ce sont bien là des créatures surhumaines, situées, comme les déesses antiques, au-dessus de l’action ; un geste calme leur suffit pour apparaître tout entières ; leur être n’est pas dispersé ni transitoire, elles subsistent immuables dans un présent éternel. Il ne faut point chercher ici l’illusion, le relief ; une pareille apparition est un rêve, et c’est les yeux fermés, dans les grands moments d’émotion muette, qu’on peut les retrouver. Un homme comme celui-ci a mis toute la noblesse de son cœur, toutes ses conceptions solitaires de bonheur charmant et sublime, dans ces formes et dans ces attitudes, dans l’enlacement fraternel des beaux bras paisiblement étendus qui, se cherchant, font une guirlande. Si un jour, effaçant de notre esprit tous les souvenirs tristes et laids de la vie, nous pouvions entrevoir un tel groupe d’adolescents, d’enfants et de femmes, nous serions heureux, nous ne concevrions rien au delà. Une surtout, debout, penchée en arrière, et qui lentement retourne la tête, a le regard fier et sauvage, l’étrange grandeur demi-animale et demi-divine des êtres primitifs. Derrière elle, une vieille, ridée, encapuchonnée,