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chirurgien ou un peintre ? Alors c’était tout le monde, charretiers et seigneurs, le grand personnage aussi bien que le premier rustre venu. L’habitude de donner des coups de poing et d’épée, de sauter, de lancer la paume, de jouter en lice, la nécessité d’être fort et agile remplissait l’imagination de formes et d’attitudes. Tel petit Amour nu, aperçu par la plante des pieds et lancé en l’air avec son caducée, tel grand jeune homme qui se renverse sur ses hanches, éveillaient des idées familières comme aujourd’hui tel intrigant, telle femme du monde, tel financier de Balzac. En les voyant, le spectateur copiait sympathiquement leur geste ; car c’est la sympathie, la demi-imitation involontaire, qui rend possible une œuvre d’art ; sans cela, elle n’est pas comprise, elle ne naît pas. Il faut que le public imagine l’objet sans effort, qu’il s’en figure à l’instant les précédents, les accompagnements, les suites. Toujours, lorsqu’un art règne, l’esprit des contemporains en contient les éléments propres, tantôt des idées et des sentiments, si cet art est la poésie ou la musique, tantôt des formes et des couleurs, si cet art est la sculpture ou la peinture. Partout l’art et l’esprit se rencontrent ; c’est pour cela que le premier exprime le second et que le second produit le premier. Aussi bien, si l’on voit alors, en Italie, une renaissance des arts païens, c’est qu’on y trouve une renaissance de mœurs païennes. César Borgia, ayant pris je ne sais plus quelle ville du royaume de Naples, se réserva quarante des plus belles femmes. Les priapées que décrit Burchard, le camérier du pape, sont des fêtes à peu près semblables à celles qu’on voyait du temps de Caton, sur les théâtres de Rome. Avec le sentiment du nu, avec l’exercice des muscles, avec le déploiement