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Lutteurs qui sont des boxeurs rancuniers, des charretiers déshabillés occupés à échanger des gourmades. Nul intermédiaire entre la fadeur et la grossièreté, entre le joli jeune homme de salon et les déchargeurs de la halle. Cette impuissance montre à l’instant la différence de l’antique et du moderne.

En continuant, on trouve le Mercure du Belvédère ; c’est un homme jeune et debout comme le Méléagre, mais encore plus beau ; le torse est plus fort et la tête plus fine ; sur son visage voltige une légère expression souriante, une grâce et une pudeur[1] de jeune homme bien né, qui sait parler, car il est de race intelligente et choisie, mais qui hésite à parler, parce que son âme est encore neuve. L’éphèbe grec, devant qui Aristophane fait plaider le Juste et l’Injuste, avait assez couru, lutté et nagé, pour avoir cette superbe poitrine et ces muscles souples ; et il était demeuré assez voisin de la simplicité primitive, assez exempt des curiosités, des disputes et des raffinements qui commençaient à s’introduire, pour avoir ce visage calme. Ce calme est si grand, qu’au premier regard on le prendrait pour un air boudeur et un peu triste.

L’Apollon du Belvédère est d’un âge plus récent et moins simple. Si beau qu’il soit, il a le défaut d’être un peu élégant ; il devait plaire à Winckelmann, aux critiques du dix-huitième siècle. Ses cheveux crêpés tombent derrière l’oreille avec une distinction charmante, et se relèvent sur le front en une sorte de petit diadème, comme pour une femme ; son attitude donne vaguement l’idée d’un beau jeune lord qui renvoie un importun.

  1. Infans pudor.