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ensevelis là appartiennent à la génération des grands Romains qui, par la conquête du Samnium et par l’organisation des colonies, ont établi la puissance de Rome sur l’Italie, et par suite sur le monde. Ils sont les fondateurs ; les vainqueurs de Carthage, de la Macédoine, et du reste n’ont fait que continuer leur monument. Ce bloc de peperin est une des premières pierres de l’édifice dans lequel nous vivons encore aujourd’hui, et l’inscription semble la voix grave du mort qui s’y est couché il y a vingt et un siècles :


Cornélius Lucius Scipio le Barbu,
Né de son père Gnævus, homme sage et brave,
Dont la beauté fut égale à la vertu.
Il fut censeur, consul, édile dans votre cité,
Prit Taurasia, Cisauna dans le Samnium,
Soumit toute la Lucanie, et emmena des otages.


C’est ici que sont les chefs-d’œuvre, — d’abord le Torse, tant loué par Michel-Ange. En effet, par la vie, l’effort grandiose, la puissante attache des cuisses, la fierté du mouvement, le mélange de passion humaine et de noblesse idéale, il est conforme au style de Michel-Ange. — Un peu plus loin est le Méléagre, dont la copie est aux Tuileries. Ce n’est qu’un corps, mais un des plus beaux que j’aie jamais vus. La tête, presque carrée, taillée à pans solides, comme celle de Napoléon, n’a qu’un front médiocre, et l’expression semble d’un homme un peu obstiné ; en tout cas, rien n’y indique la grande capacité et la grande flexibilité d’esprit que nous ne manquons guère de donner à nos statues, et qui suggère tout de suite au spectateur l’idée d’offrir au pauvre grand homme si peu habillé un pantalon et