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tique et de lettré de cabinet. C’est la seconde Rome à côté de la première.

Comment décrire une galerie ? Il faut tomber dans l’énumération. Laisse-moi seulement nommer quelques statues, comme points de repère, pour donner un corps et un soutien aux idées qu’elles suggèrent.

Salle du Gladiateur mourant ; c’est une statue réelle, non idéale ; mais la beauté du corps est encore grande, parce que cette sorte d’hommes passaient leur vie à s’exercer nus.

Autour de lui on voit rangés un admirable Antinoüs, une grande Junon drapée, le Faune de Praxitèle, une Amazone qui lève son arc. — Ces gens-là se représentaient naturellement l’homme comme nu, et naturellement nous nous représentons l’homme comme habillé. Ils trouvaient dans leur expérience personnelle et propre l’idée d’un torse, d’une ample poitrine étalée comme celle d’Antinoüs, de l’enflure des muscles costaux dans un flanc qui se penche, de la continuité aisée de la hanche et de la cuisse dans un jeune corps, comme ce Faune incliné. Bref, ils avaient deux cents idées sur chaque forme et mouvement du nu ; nous n’en avons que sur la coupe d’une redingote et sur l’expression d’un visage. Il faut à l’art l’expérience courante, l’observation journalière ; de là sort le goût public, j’entends la préférence décidée pour telle sorte de type. Ce type dégagé et compris, il se trouve toujours quelques hommes supérieurs qui l’expriment. C’est pourquoi, les objets ordinaires étant changés, l’art change. L’esprit est comme ces insectes qui prennent la couleur de la plante sur laquelle ils vivent. Rien de plus vrai que ce mot : l’art est le résumé de la vie.