dont il reçoit les écus. Il dîne mal, mais il se console en pensant aux glorieuses expositions où il a figuré, et se promet tout bas, parfois même tout haut, que l’an prochain il prendra sa revanche. Il faut avouer que son atelier sent mauvais, les planchers n’ont pas été balayés depuis six mois, le sopha a été brûlé par les cendres de la pipe, des savates éculées trament dans un coin ; on aperçoit sur un buffet des pelures de saucisson et un morceau de fromage ; mais ce buffet est de la renaissance, cette tapisserie râpée, qui cache un mauvais matelas, vient du grand siècle, le long du mur où monte l’ignoble tuyau de poêle pendent des armures, de précieuses arquebuses damasquinées. Il faut y venir et n’y pas rester.
Nous avons traversé de longues rues en pente, enfermées entre des murailles énormes, toutes borgnes ou grillées, sur un interminable pavé solitaire qui luit, et nous sommes allés, en passant devant le palais de Lucrèce Borgia, jusqu’à Saint-Pierre-aux-Liens, pour voir le Moïse de Michel-Ange. Au premier aspect, il surprend moins qu’on ne l’aurait cru. On l’a vu gravé ou réduit ; là-dessus l’imagination, comme toujours, a exagéré ; de plus il est poli, fini avec une perfection extrême. Il est dans une église parée et brillante ; on l’a encadré joliment dans une jolie chapelle. Toutefois, à mesure qu’on le regarde, la masse colossale fait son effet ; on sent la volonté impérieuse, l’ascendant, l’énergie tragique du législateur et de l’exterminateur. Par ses muscles héroïques, par sa barbe virile, c’est un barbare primitif, un dompteur d’hommes ; par sa tête allongée, par les saillies des tempes, c’est un ascète. S’il se levait, quel geste, quelle voix de lion !