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Un roi dont l’histoire est peinte sur la muraille a laissé ici sa couronne pour prendre la robe de moine.

Pour monter au couvent, on part de San-Germano ; c’est une petite ville sur un pan de montagne, pauvre et laide, où des ruelles caillouteuses, grimpantes, s’échelonnent avec des enfants en guenilles et des porcs errants. Les portes des maisons sont ouvertes ; le porche noir tranche sur la blancheur crue des murailles, et les ustensiles de ménage, vaguement entrevus à travers l’ombre mouvante, poudroient dans la profondeur, pailletés de clartés qui tremblent. Sur la droite, au-dessus d’un entassement extraordinaire de blocs roussis, la montagne disloquée porte un débris de château féodal. Sur la gauche, pendant une heure et demie, une route en zigzag monte jusqu’au sommet ; des lentisques, des touffes de graminées luisent entre les quartiers de roche ; à chaque pas les lézards filent entre les pierres. Plus haut, apparaissent des chênes-verts, des buis, des genêts, de grands euphorbes, et toute la végétation d’hiver qui a pu subsister entre les blocs croulants, sur les mamelons de pierre stérile.

Du côté vide se déploie l’armée des montagnes ; rien que des montagnes, ce sont les seuls habitants ; elles occupent tout le paysage ; derrière elles, d’autres encore, et ainsi plusieurs files. Une d’elles, la tête déchirée, s’avance comme un promontoire, et son long squelette semble un saurien monstrueux accroupi à l’entrée de la vallée. Un tel spectacle laisse bien loin derrière soi les Colisée, les Saint-Pierre, tous les monuments humains. Chacune a sa physionomie, ainsi qu’un visage animé, mais une physionomie inexprimable, parce qu’aucune forme vivante ne correspond à cette forme