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mal, nous donne toutes nos choses supérieures, l’opéra, la littérature, la conversation et la cuisine.



À San-Carlino.


On y joue ce soir les Ménechmes arrangés à la napolitaine. Dans toute l’Italie, ils traduisent des pièces françaises, mais ici le remaniement est une invention ; les types, les mœurs, le dialogue, la langue sont propres à Naples et populaires.

Le théâtre l’est tout à fait, c’est une espèce de cave ; la foule des grisettes, des ouvriers, des petits marchands en veste de vieux velours, en casquette, s’y serre et s’y entasse. La chaleur est forte, l’odeur aussi, et les puces vous montent aux jambes ; mais les acteurs jouent fort bien, ils ont beaucoup de naturel et une grande habitude des planches, ce qui n’est pas étonnant : ils jouent la même pièce deux fois par jour, à midi et le soir.

Plusieurs scènes sont excellentes, entre autres celle du jeune homme amoureux qui est renvoyé par sa maîtresse : point d’amour-propre, mais une vraie douleur désespérée qui éclate en mouvements d’indignation, en supplications passionnées ; un Français mettrait ici de la dignité piquée. Presque tous sont des mimes admirables, surtout le cabaretier et sa femme. Leur visage se contracte incessamment, vingt expressions s’y font et s’y défont en une minute, chacune si juste et si complète qu’avec une couche de plâtre on y moulerait un modèle.

L’esprit est grossier, franchement rabelaisien. Le père conte qu’il a eu deux jumeaux le même jour.