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avec ses roches jaunes, semble un mobilier en velours d’Utrecht emprunté à un hôtel garni. Le ténor est un grotesque enflé, une sorte d’Hercule Farnèse enlaidi ; il porte un de ces vieux casques à mentonnière qu’on ne voit plus que dans la ferraille classique. La basse et Azucena le valent. Les costumes sont surannés : ils entendent le moyen âge comme nous l’entendions sous l’Empire ; voyez dans nos auberges de province les troubadours sur les pendules. La Titiens seule est passablement habillée. — Ils ont tous chanté faux, et l’attitude du public était amusante. À la moindre note douteuse, c’étaient des sifflets, des piaulements, des chants de coq, toute une rumeur ; puis un instant après, si le reste de l’air avait été bien enlevé, des applaudissements à tout rompre. Quelques hommes du parterre chantaient les airs, même les parties de l’orchestre, à demi-voix et très-juste. À la porte, les gens du peuple faisaient de même. Pareillement les chanteuses ambulantes dans les rues ont la voix aigre, mais ne font pas de fausses notes. Ils sont vraiment musiciens, ils comprennent les nuances, les réussites, les fautes en musique, comme à Paris nous comprenons les finesses du comique et de la plaisanterie.

La première danseuse est la signora Legrain, une Française, et le ballet est encore plus laid qu’à Paris : ce sont les mêmes tortillements, la même agilité et la même agitation d’araignées grêles. Tout ce qui chez nous soutient le ballet manque ici : ni goût, ni élégance, ni fraîcheur ; au moins nous avons des décors qui valent des tableaux, des costumes qui charmeraient un poëte, des armures qui occuperaient un antiquaire. Certainement notre centralisation, qui nous fait tant de