Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

espérances. Ils ont établi cinquante-huit écoles communales à Naples et une dans chaque chef-lieu. Dans la classe moyenne, beaucoup de gens lisent. Tous les livres intéressants ou savants d’Allemagne, d’Angleterre et de France arrivent chez le libraire Detkens ; les plus solides ouvrages de physiologie, de droit, de linguistique, surtout de philosophie, trouvent là des acheteurs : sa boutique est le soir une sorte de club littéraire et scientifique. Ils éprouvent une satisfaction infinie à causer librement et sur tous ces grands sujets. « Il y a trois ans, disent-ils, même la porte close, nous n’aurions osé parler. Si on nous avait vus ensemble, nous aurions eu un espion à nos trousses. » Ils sont en ce moment dans toute l’ardeur de la production et de la renaissance. On fouille à force à Pompéi, et on publie les nouvelles découvertes dans de magnifiques livraisons ornées de dessins polychromes. C’est un plaisir que de voir ces fines têtes italiennes, ces yeux expressifs, et de deviner sous les façons réservées l’ardeur intérieure ; ils expriment haut ou laissent percer cette joie profonde d’un homme qui remue ses membres après avoir été longtemps en prison. En fait d’idées, ils ne manquent pas de préparation ; déjà sous les Bourbons, deux ou trois libraires faisaient fortune par la contrebande, payant le douanier, l’examinateur, cachant les livres sous leur lit et les vendant au quintuple. Ainsi se sont formées de bonnes et belles bibliothèques, même dans les provinces, par exemple celle du père du poëte Leopardi. Tel petit noble, tel bourgeois retiré étudiait, non certes pour la gloire ou le profit (c’était un danger que d’être savant), mais pour apprendre. De cette façon on apprend vite et beaucoup.