Page:Taine - Voyage aux Pyrénées, 1873.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
BIARRITZ. — SAINT-JEAN DE LUZ.


tueux, sous le soleil qui réchauffe. Cependant des nuages sereins balancent au-dessus de lui leur duvet de neige ; la transparence de l’air les entoure d’une gloire angélique, et leur vol immobile fait penser aux âmes du Dante arrêtées en extase à l’entrée du paradis.

La nuit, je suis monté sur une esplanade solitaire où est une croix, et d’où l’on voit la mer et la côte. La côte noire, semée de lumières, s’abaisse et s’élève en bosselures indistinctes. La mer gronde et roule sourdement. De temps en temps, au milieu de




cette respiration menaçante, part un hoquet rauque, comme si la bête sauvage endormie se réveillait ; on ne la distingue pas, mais, à je ne sais quoi de sombre et de mouvant, on devine un dos monstrueux qui palpite ; l’homme est devant elle comme un enfant devant la bauge d’un léviathan. Oui nous promet qu’elle nous tolérera demain encore ? Sur la terre nous nous sentons maîtres ; notre main y trouve partout ses traces ; elle a transformé tout et mis tout à son service ; aujourd’hui le sol est un potager, les forêts un bosquet, les fleuves des rigoles, la nature une nourrice et une servante. Mais ici subsiste quel-