Page:Taine - Voyage aux Pyrénées, 1873.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA CÔTE.


de plaques encore plus sombres ; si loin que le regard porte, c’est une agitation maladive de vagues ternes, entrecroisées et disloquées, sorte de peau mouvante qui tressaille et se tord sous nue fièvre intérieure ; de temps en temps, une raie d’écume qui les traverse marque un soubresaut plus violent. Çà et là, entre les intervalles des nuages, la lumière découpe quelques champs glauques sur la plaine uniforme ; leur éclat fauve, leur couleur malsaine, ajoutent à l’étrangeté et aux menaces de l’horizon. Ces sinistres lueurs changeantes, ces reflets d’étain sur une houle de plomb, ces scories blanches collées


Plage
Plage



aux roches, cet aspect gluant des vagues donnent ridée d’un creuset gigantesque, dont le métal bouillonne et luit.

Mais vers le soir l’air s’éclaircit et le vent tombe. On aperçoit la côte d’Espagne et sa traînée de montagnes adoucie par la distance. La longue dentelure ondule à perte de vue, et ses pyramides vaporeuses finissent par s’effacer dans l’ouest, entre le ciel et l’Océan. La mer sourit dans sa robe bleue, frangée d’argent, plissée par le dernier souffle de la brise ; elle frémit encore, mais de plaisir, et déploie cette soie lustrée, chatoyante, avec des caprices volup-