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LA CÔTE.


leur mer, et que cette charretée de chair morte était le péage que payeraient les Basques. Les plaies figées se décollèrent par la froideur de l’eau, et ce fut une belle vue : car, par le sang qui coulait, la rivière devint aussi vermeille que le ciel à l’orient.

Après cela, les Basques et les gens de Bayonne combattirent plusieurs années encore, homme contre homme, bande contre bande ; et beaucoup d’hommes braves moururent des deux parts. À la fin, les deux partis s’accordèrent pour s’en remettre à l’arbitrage de Bernard Ézi, sire d’Albret. Le sire d’Albret dit que les Bayonnais, ayant fait la première attaque, étaient en faute ; il ordonna que les Basques ne payeraient point à l’avenir de redevance, mais que, tout au contraire, la cité de Bayonne leur payerait quinze cents écus d’or neufs, et établirait dix prébendes presbytérales devant coûter quatre mille écus vieux du premier coin de France, pour le repos des âmes des cinq gentilshommes noyés sans confession, lesquelles peut-être étaient dans le purgatoire et avaient besoin de beaucoup de messes pour en sortir. Mais les Basques ne voulurent pas que Pé de Puyane, le maire, fût compris dans cette paix, ni lui, ni ses fils, et se réservèrent de les poursuivre jusqu’à ce qu’ils eussent pris vengeance sur sa chair et sur sa race. Le maire se retira à Bordeaux, dans la maison du prince de Galles, dont il était grand ami et bon serviteur, et pendant deux ans ne sortit point de la ville, sinon trois ou quatre