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LA CÔTE.


le dos, dont il cracha le sang, et mourut une minute après.

Mais les Bayonnais, étant moins nombreux et moins adroits, ne purent tenir, et au bout d’une demi-heure il n’en resta plus qu’une douzaine, acculés au coin du fond, près d’un petit cellier où l’on mettait les brocs et les outres. Pour forcer ceux-là plus vite, les Basques ramassèrent les piques, et commencèrent à pousser à travers ce tas d’hommes ; et les Bayonnais, comme chacun fait toujours lorsqu’il sent une fiche de fer entrer dans sa peau, reculèrent et roulèrent ensemble dans le cellier. À cet instant, les torches s’étant éteintes, les Basques, pour ne point se blesser les uns les autres, alignèrent toute la brassée de piques, et harponnèrent en avant à l’aveugle dans le cellier, pendant plus d’un quart d’heure, afin d’être bien sûrs que nul Bayonnais ne restait en vie ; en sorte que, lorsque tout y fut devenu tranquille, et qu’ayant rallumé les torches ils regardèrent, ils virent que le cellier avait l’air d’un hachoir de charcutier, les corps était tranchés en vingt endroits, et séparés de leurs têtes, et les membres étant mêlés les uns avec les autres, tellement qu’il ne manquait que du sel pour que ce fut un saloir.

Mais les plus jeunes des Basques, quoiqu’il n’y eût plus rien à tuer, tournaient les yeux de tous les côtés de la salle, grinçant les dents comme des lévriers après la curée ; et ils criaient de moment en moment, tressaillant des jambes, et serrant leurs