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LES LANDES. — BAYONNE.


Ils étaient dans un petit réduit bas, et dans la grande salle du premier étage ils voyaient à six marches au-dessous d’eux les Bayonnais qui n’étaient que trois en ce lieu, deux dormant, l’autre qui venait de s’éveiller et se frottait les yeux, le dos tourné à la petite porte du réduit. Jean Amacho fit signe aux deux hommes qui étaient montés aussitôt après lui, et tous ensemble sautèrent d’un seul saut, et si juste, que leurs trois couteaux entrèrent à la fois dans la gorge des Bayonnais, lesquels, fléchissant des jambes, coulèrent à terre sans faire un cri. Puis les autres Basques entrèrent et se tinrent au bord du grand escalier à rampe, qui menait dans la salle basse où étaient les Bayonnais, les uns dormant en tas près de l’âtre, les autres criant et banquetant dru.

Un de ceux-ci, sentant ses cheveux mouillés, leva la tête, et vit de petits filets rouges qui coulaient d’entre les solives du plafond, et se mit à rire, disant que les goinfres d’en haut, ne pouvant plus tenir leurs flacons, répandaient le bon vin, ce qui est une grande faute. Mais trouvant que ce vin était bien tiède, il en mit à son doigt, puis sur sa langue, et vit au goût fade que c’était du sang. Il le cria tout haut, et les Bayonnais sursautant empoignèrent leurs piques et coururent à l’escalier. Sur cela, les Basques, qui avaient attendu, n’étant pas assez nombreux, voulurent rattraper le moment et s’élancèrent ; mais les premiers sentirent la pointe des piques, et furent enlevés comme des bottes de foin