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LA CÔTE.


dant de se bien garder, et les avertissant que les Basques tâcheraient de se venger au plus tôt. Mais eux se dirent qu’ils avaient encore au moins une nuit franche, et travaillèrent de tout leur gosier à vider les pots. Vers le milieu de la nuit, qui était sans lune, arrivèrent environ deux cents Basques : car ils sont alertes comme des isards, et leurs coureurs avaient éveillé au matin plus de vingt villages dans la Soûle, leur contant l’incendie et la noyade ; incontinent, les plus jeunes, avec quelques hommes d’expérience, étaient partis par des sentiers détournés, pieds nus pour ne point faire de bruit, avec force coutelas, crampons, et plusieurs échelles de fine corde, et s’étaient glissés aussi adroitement que des renards jusqu’au bas de la tour, du côté du levant, à l’endroit où elle plonge droit jusqu’au lit du fleuve, vraie fondrière, en sorte qu’en ce lieu il n’y avait point de garde, et que le roulement de l’eau sur les cailloux empêchait d’entendre leur petit bruit, s’ils en faisaient. Ils fichèrent leurs crampons dans les fentes des pierres, et, petit à petit, Jean Amacho, homme de Béobie, bon chasseur de bêtes montagnardes, grimpa sur les créneaux du premier mur, puis, ayant appuyé une perche jusqu’à une fenêtre de la tour, entra et accrocha deux échelles ; et les autres à leur tour montèrent jusqu’à ce qu’il y en eut cinquante environ ; et toujours de nouveaux hommes arrivaient, tant que les échelles pouvaient porter, enjambant le bord de la fenêtre et sans bruit.