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LA CÔTE.


les portes de la ville, de peur que quelque traître, comme il y en a partout, n’allât devant.

Étant arrivés au château, ils trouvèrent le pont-levis baissé et la poterne ouverte, tant les Basques étaient confiants et sans soupçon, et entrèrent, coutelas tirés et piques en avant, dans la grande salle. Là furent tués sept jeunes gens qui s’étaient barricadés avec des tables et voulaient jouer de la dague ; mais les bonnes hallebardes bien pointues et tranchantes les firent vite taire. Les autres, ayant fermé les portes du dedans, pensèrent qu’ils auraient pouvoir de se défendre ou loisir pour fuir. Mais les marins bayonnais, de leurs grandes haches, abattirent les ais et fendirent les premières cervelles qui se trouvèrent auprès. Le maire, voyant les Basques bien serrés à la taille de leurs ceintures rouges, allait disant (car il était facétieux aux jours de bataille) : « Lardez-moi ces beaux galants ; la broche en avant dans leur justaucorps de chair. » Et de fait les broches allèrent si avant, qu’ils furent tous perforés et ouverts, quelques-uns de part en part, si bien qu’on aurait vu jour au travers d’eux, et que la salle, une demi-heure après, fut pleine de corps blêmes et rouges, plusieurs ployés en travers des bancs, d’autres en tas dans les coins, quelques-uns le nez collé à la table comme il arrive aux ivrognes, en telle sorte qu’un Bayonnais, les considérant, dit : « Voici le marché aux veaux. » Beaucoup, piqués par derrière, avaient sauté par les fenêtres et furent trouvés le lende-