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LES LANDES. — BAYONNE.


passer à Villefranche, au pont de la Nive, jusqu’où va le flux. Tous crièrent que cela était juste, et Pé de Puyane dénonça aux Basques le péage. Mais eux se mirent à rire, disant qu’ils n’étaient point des chiens de matelots comme ceux du maire. Puis étant venus en force, ils battirent les gens du pont, et en laissèrent trois pour morts.

Pé ne dit rien, car il ne parlait pas beaucoup ; mais il serra les dents, et regarda si affreusement autour de lui, que nul n’osa s’enquérir de ce qu’il ferait, ni l’exhorter, ni souffler mot. Du premier samedi d’avril jusqu’à la mi-août, plusieurs hommes furent battus, tant Bayonnais que Basques, sans qu’il y eût guerre dénoncée ; et, quand on en parlait au maire, il tournait le dos.

Le vingt-quatrième jour d’août, beaucoup d’hommes nobles d’entre les Basques, et plusieurs jeunes gens, bons sauteurs et danseurs, vinrent au château de Miot pour la Saint-Barthélemy. Ils festinèrent et paradèrent tout le jour, et les jeunes gens, qui sautaient à la perche avec leurs ceintures rouges et leurs culottes blanches, semblèrent adroits et beaux. Le soir, un homme vint parler bas au maire, et lui qui d’ordinaire avait une mine grave et judiciaire, eut tout d’un coup les yeux allumés comme un jeune garçon qui voit arriver sa mariée. Il descendit en quatre sauts son escalier, mena dehors une bande de vieux matelots qui étaient venus un à un, en cachette, dans sa salle basse, et partit la nuit close avec plusieurs des jurats, ayant fermé