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LES LANDES. — BAYONNE.


Pé de Puyane était un homme brave et habile en mer, et qui de son temps fut maire de Bayonne et amiral ; mais il était rude aux gens, comme tous ceux qui ont mené des navires, et il avait plus tôt assommé un homme qu’ôté son bonnet. Il avait bataillé longtemps contre les gens de mer normands, et une fois en pendit soixante-dix à ses vergues, côte à côte avec des chiens. Ayant mis à ses galères des bannières rouges qui signifiaient mort sans remède, il prit à la bataille de l’Écluse le grand vaisseau génois Christophle ; il y mena si bien les mains que nul Français n’échappa, car tous y furent noyés ou tués, et les deux amiraux Quieret et Bahuchet s’étant rendus, Bahuchet eut le col serré d’une corde, et Quieret la gorge coupée. Ce qui était bien fait ; car plus on tue de ses ennemis, moins on en a. C’est pourquoi, quand il revint, les gens de Bayonne le fêtèrent avec un tel bruit et un tel tintamarre de trompes, de cornets, de tambours et de toutes sortes d’instruments, que ce jour-là on n’eût pas ouï Dieu tonnant.

Il se trouva que les Basques ne voulaient plus payer la redevance sur le cidre qu’on brassait à Bayonne pour le vendre en leur pays. Pé de Puyane dit que les marchands de la ville ne leur en porteraient plus, et que, si quelqu’un leur en portait, il aurait le poing coupé. De fait, Pierre Cambo, un pauvre homme, en ayant voituré nuitamment deux muids, fut mené sur la place du marché, devant Notre-Dame de Saint-Léon qu’on bâtissait, et eut