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LA CÔTE.


fois entré je me suis trouvé plus triste encore. L’obscurité tombait de la voûte comme un suaire ; je ne distinguais rien que des piliers vermoulus, des tableaux enfumés, des pans de murs verdâtres. Deux fraîches toilettes que j’ai rencontrées ont accru le contraste ; rien de plus blessant ici que des rubans roses. Je voyais le spectre du moyen âge ; comme la sécurité et l’abondance de la vie moderne lui sont contraires ! Ces sombres voûtes, ces colonnettes, ces rosaces sanglantes, appelaient des rêves et des émotions que nous ne pouvons plus avoir. Il faudrait sentir ici ce que sentaient les hommes, il y a six cents ans, quand ils sortaient en fourmilières de leurs taudis, de leurs rues sans pavés, larges de six pieds, cloaques d’immondices, qui exhalaient la lèpre et la fièvre ; quand leur corps sans linge, miné par les famines, envoyait un sang pauvre à leur cerveau brut ; quand les guerres, les lois atroces et les légendes de sorcellerie emplissaient leurs rêveries d’images éclatantes et lugubres ; quand sur les draperies chamarrées, sur le grimoire des vitraux fantastiques, les rosaces versaient comme un incendie ou comme une auréole leurs rayons transfigurés.

Ce sont les souvenirs de la fièvre et de l’extase : pour m’en délivrer, je suis allé sur le port ; c’est une longue allée de vieux arbres au bord de l’Adour. Il est tout gai et pittoresque. Des bœufs graves, le front baissé, tirent les poutres qu’on décharge. Des cordiers, ceints d’une liasse de