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LA CÔTE.


rochers et des côtes infécondes : il y en a ici toute une colonie ; ils se serrent fraternellement, et couvrent le sable de leurs lamelles brunes ; la brise monotone qui les traverse, éveille éternellement leur murmure ; ils chantent ainsi, d’une façon plaintive, mais avec une voix bien plus douce et bien plus harmonieuse que les autres arbres ; cette voix ressemble au bruissement des cigales, lorsque en août elles chantent de tout leur cœur entre les tiges des blés mûrs.

Un sentier tourne à gauche du village, au sommet d’un rivage rongé, entre des flots de graminées qui s’étouffent. Le fleuve est si large qu’on ne distingue point l’autre rive. La mer sa voisine lui donne son reflux ; les longues ondulations arrivent tour à tour contre la côte, et versent leur petite cascade d’écume sur le sable ; puis l’eau s’enfuit, descendant la pente, jusqu’à la rencontre du nouveau flot qui monte et la couvre ; ces flots ne se lassent point, et leurs venues avec leurs retours font penser à la respiration régulière d’un enfant endormi. Car le soir est tombé ; les teintes de pourpre brunissent et s’effacent. Le fleuve se couche dans l’ombre molle et vague ; à peine si de loin en loin un reste de lueur part d’un flot oblique ; l’obscurité noie tout de sa poussière vaporeuse ; l’œil assoupi cherche en vain dans ce brouillard quelque point visible, et distingue enfin comme une faible étoile le phare de Cordouan.