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BORDEAUX. — ROYAN.


subitement rabattues ou brisées, son onde penchée, luisante, puis tout d’un coup noircie, ressemblent aux éclairs de passion d’une mère impatiente qui tourne incessamment et anxieusement autour de ses enfants, et les couve, ne sachant que désirer et que craindre. Tout à l’heure un nuage a couvert le ciel, et le vent s’est levé. Le fleuve a pris à l’instant l’aspect d’un animal sournois et sauvage. Il se creusait, et l’on voyait son ventre livide ; il arrivait contre la carène avec des soubresauts convulsifs ; il l’embrassait et la froissait comme pour essayer sa force ; aussi loin qu’on pouvait voir, ses flots se


Voyage aux Pyrénées
Voyage aux Pyrénées


soulevaient et se pressaient, comme des muscles sur une poitrine ; des éclairs passaient sur le flanc des vagues avec des sourires sinistres ; le mât gémissait, et les arbres pliaient en frissonnant, comme un peuple débile devant la colère d’une bête redoutable. Puis tout s’est apaisé ; le soleil s’est dégagé ; les flots se sont aplanis, on n’a plus vu qu’une nappe riante ; sur ce dos poli traînaient et jouaient follement mille tresses verdâtres ; la lumière s’y posait, comme un manteau diaphane ; elle suivait les mouvements souples et les enroulements de ces bras liquides ; elle ployait autour