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du nez contre les murs, et tâtonnant sur la terre humide : le premier soin de M. de Biran avait été de boucher toutes les fentes et tous les soupiraux. Ils regardaient avec attention, et continuaient à voir les plus parfaites ténèbres. Au retour, quand on les priait de raconter leur voyage, ils n’osaient, par amour-propre, avouer qu’ils s’étaient salis et froissés en pure perte, et confesser qu’ils étaient descendus dans une basse-fosse bien bouchée pour y mieux distinguer les objets. « Oh ! M. de Biran est un grand maître ; allez le trouver, il éclaircira tous vos doutes. » On n’y allait pas. Je suis sûr que de tous ceux qui le citent, il n’y en a pas cent qui l’aient lu, et que des cent qui l’ont lu, il n’y en a pas dix qui l’aient pesé. Voilà comme on fabrique la gloire. Celle-là est la plus solide ; on n’a point d’adversaires quand on n’a point de lecteurs.

— Là, vous voilà calme ; vous avez jeté votre colère. M. de Biran fait cette impression agréable sur tous ceux qui le lisent. Permettez-moi maintenant de prendre une plume et d’écrire la traduction des phrases que vous m’avez citées ; elles ont un sens. Le style de M. de Biran n’est pas le galimatias double ; ce n’est que le galimatias simple. Les lecteurs n’entendent pas l’auteur, mais l’auteur s’entend. C’est un grand mérite ; tous les philosophes ne l’ont pas. Il y a une clef pour ses